EN RAPPEL : Ce papier très révélateur de Guillaume S. Leduc, publié en printemps dernier sur l'excellent blogue LesAnalystes.ca.
À la lumière des récents événements (à la «luminescence» de récents événements... hehe), incluant les travaux télévisés de la commission Bastarache, la recherche de Leduc se veut d'une formidable pertinence.
Influence des argentiers : des libéraux se sont déjà plaints
Par Guillaume S. Leduc,
Bon matin à tous, je vous propose aujourd’hui un retour dans le temps. Plus précisément, un retour à l’époque 2003-2004, où Marc Bellemare était Ministre de la justice. J’ai fait une recherche de presse à propos des nominations partisanes à l’époque et je suis tombé sur certains reportages et articles intéressants concernant les grands argentiers du Parti Libéral du Québec et leur influence dans certaines nominations.
Juin 2003 : Quelques mois à peine après l’élection de Jean Charest, Denis Lessard nous apprends qu’étrangement, Jean Charest s’est entouré de gens de l’extérieur du cabinet pour le conseiller dans ses nominations. Parmi les noms mentionnés par le journaliste, on compte Raymond Boucher (l’organisateur de la campagne libérale de 2003) et Marc Bibeau (grand collecteur de fond du PLQ).
Dans ce « premier cercle » des conseillers qui ont la main haute sur l’ensemble des décisions, qui connaissent à la fois la nomination de la semaine prochaine et la liste des projets de loi prévus avant l’ajournement de juin, deux seulement assistent aux réunions du Conseil des ministres: Michel Crête et André Dicaire. Ce sont eux qui ont décidé de faire rouler les têtes d’une demi- douzaine de sous-ministres associés de près au PQ.
Novembre 2003 : Cela fait maintenant 7 mois que Jean Charest est à la barre du gouvernement et plusieurs nominations ont été effectuées. Denis Lessard nous rapporte quelques noms de ces amis du parti qui ont obtenu des postes convoités et nous parle de la manière dont Jean Charest a procédé. On apprend que le Premier Ministre a changé les règles habituelles :
Sans qu’il n’y paraisse, le gouvernement Charest a changé les règles pour les nominations du Conseil des ministres. Depuis des années, sous René Lévesque comme sous Robert Bourassa, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry, les nominations étaient préalablement publiées sur des feuilles « jaunes », comme on le dit dans le jargon des cabinets politiques. Pendant une semaine on pouvait réfléchir sur ces choix importants, avant qu’ils ne soient approuvés par le gouvernement- bien sûr, la mécanique provoquait à l’occasion quelques fuites, mais sans grande conséquence. Désormais, explique-t-on, le secrétaire général du gouvernement, André Dicaire, sort en général de « sa valise » le nom des heureux élus, validés à l’avance auprès de Jean Charest. Ils sont nommés séance tenante par des ministres qui, souvent, n’en ont jamais entendu parler.
Avril 2004 : Un an après l’élection du gouvernement Charest, il commence à y avoir de la grogne. Le soir même de la démission de Marc Bellemare, on apprenait – et ça a probablement passé inaperçu dans le contexte de démission d’un ministre – que des libéraux commençaient à remettre en question le processus de nomination de Jean Charest. Voici quelques extraits d’une retranscription d’un reportage de Radio-Canada :
BERNARD DEROME (LECTEUR) : Québec, toujours, ou certains libéraux s’interrogent de plus en plus sur la façon de gouverner de Jean Charest. Ce qui se passe, c’est qu’il y a un petit groupe de conseillers qui ne sont pas des élus, des gens, donc, qui n’ont aucun compte à rendre à personne et qui exercent une très grande influence sur le premier ministre. Plus, même, que certains ministres et c’est ce qui agace.
[...]
SOPHIE LANGLOIS (JOURNALISTE) : Certains libéraux ont ainsi une influence peu commune sur les orientations du gouvernement et sur le bureau du premier ministre. Or, ils n’ont pas de comptes à rendre, ne sont pas soumis aux règles d’éthique des attachés politiques.
C’est le cas de Raymond Boucher, un publicitaire retraité. [...] Des libéraux disent de lui que c’est lui le vrai chef de cabinet de Jean Charest.
[...]
Marc Bibeau, le plus important collecteur de fonds du Parti libéral, fait aussi partie de ce petit groupe tout-puissant. La famille Bibeau est propriétaire de Schokbéton, qui a participé notamment à la construction du Stade olympique.Les libéraux inquiets qui nous ont parlé ne trouvent pas ça normal qu’un petit groupe d’hommes, qui ne sont ni des élus ni des employés du gouvernement, aient beaucoup plus d’influence sur le premier ministre que la très grande majorité des ministres.
Parmi les autres noms mentionnés, il y a le Président du PLQ de l’époque, Marc-André Blanchard, de même que Pierre Bibeau, organisateur libéral de longue date et conjoint de la ministre Line Beauchamp. Le reportage fait aussi état du congédiement de Michel Crête comme chef de cabinet. Ce dernier se serait opposé à la présence de Marcel Côté, du groupe SECOR, lors d’une réunion sur la stratégie gouvernementale qui le plaçait en conflit d’intérêt. Que voulez-vous, quand on accepte pas « comment ça marche », il semble qu’on n’est plus dans les bonnes grâces du PM. Si j’étais journaliste, j’essaierais sur le champ d’avoir les commentaires de Marcel Côté sur tout ce qui se passe actuellement.
Et Bellemare dans tout ça ?
Le système décrit par Marc Bellemare concernant l’influence présumée des grands argentiers du parti dans la nomination de juges semble trouver écho dans ces articles de presse et reportage qui, à l’époque, démontraient que ceux qui ont la plus grand influence dans les nominations du gouvernement sont des gens non élus, des organisateurs de campagne et des gens qui ramassent du fric pour les libéraux.
Et parmi ceux-ci, des entrepreneurs en construction, comme Franco Fava et Marc Bibeau. Intéressant de noter, au passage, que Franco Fava a été choyé dans l’octroi de contrats gouvernementaux et que l’entreprise de Marc Bibeau a reçu un contrat de 900 000$ sans appel d’offre de l’administration du maire de Laval, Gilles Vaillancourt.
Si ces gens ont une si grande influence à propos des nominations, imaginez ce que ça peut être concernant les contrats gouvernementaux dans le domaine de la construction. Les investissements s’élèvent à des dizaines de milliards de dollars. Étrangement, quand ils ont été annoncés en 2008, le PLQ a récolté un montant d’argent record.
Une commission d’enquête sur le processus de nomination des juges ? Non mais on se fout vraiment de notre gueule. Le mandat de la commission d’enquête doit porter sur le financement du Parti Libéral du Québec et l’influence qu’ont les collecteurs de fonds du parti sur les décisions gouvernementales.
;-D
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